16 - Le juge et les mangeurs d'hommes

Publié le par Sophie Dulucq

   Ancien conseiller à la Cour d'Appel de Dakar, Eric Rau publie en 1958, soit deux ans à peine avant les indépendances, un opuscule d'une trentaine de pages intitulé Le juge et le sorciers. Les mangeurs d'hommes. Il fait suite à une première livraison de la même eau l'année précédente : Le juge et le sorcier. Les sacrifices humains. C'est la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Dakar qui édite ces ouvrages, travaux d'un de ses membres éminents -- un magistrat qui se pique d'ethnologie juridique et a, par ailleurs, déjà commis quelques travaux sur les Wallisiens (sa thèse de 1935 porte sur leurs coutumes ) et sur les Kanaks.

   La courte notice sur Wikipedia qui est lui consacrée (http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ric_Rau) signale bien sûr Le juge et le sorcier, mais dans une  édition de 1976 (la date est tardive !), dont on s'est visiblement contenté de reproduire la 4e de couverture :

Sorciers « mangeurs d'hommes », hommes-panthères, homme-caïmans, hommes-serpent.... Que peut un juge quand il est confronté, en Afrique, en Martinique, à Tahiti, à Madagascar, à des coutumes, à des rites d'une insoutenable atrocité ? Que peut le juge face au sorcier ? C'est un document de premier ordre. L'un de ceux qui, haletants comme une enquête policière, sont aussi une interrogation sur d'autres civilisations, leurs mystères et leurs pouvoirs.

    Il faudra aller voir cette édition augmentée de 1976. En attendant, l'opuscule de 1958 que j'ai entre les mains ne se distingue ni par la sobriété, ni par la mise à distance. Rau affirme ainsi, sur des bases qui semblent bien fragiles, qu'« [e]n Afrique Noire, fort répandue, naguère, au Congo, au Gabon et dans les régions sylvestres du Golfe de Guinée, l'anthropophagie, sévèrement traquée par l'Autorité, ne se manifeste plus guère -- autant qu'on en puisse juger en ces sortes d'affaires où, toujours, sévit la conspiration du silence -- que d'une façon sporadique. »  

   Si partiale et si partielle que soit la source, elle fournit néanmoins quelques renseignements apparemment fiables sur la législation aofienne (à confirmer). Dans un raisonnement en grande partie tautologique, l'auteur avance l'idée selon laquelle « la plus solide preuve que l'anthropophagie reste vivace dans tout l'Occident africain, c'est que le législateur français a été amené, en 1947, à redire : "sera... puni de mort quiconque se sera rendu coupable d'un meutre commis dans un but (sic) d'anthropophagie". » Une note précise qu'il s'agit du décret du 19 novembre 1947, qui reprend les termes du décret du 26 avril 1923 statuant en matière de justice répressive indigène.

   Les questions juridiques constitueront un fil rouge de ce travail de recherche. Si l'existence d'une législation ne fournit bien sûr aucune preuve de la vivacité de l'anthropophagie -- on sait bien, notamment, la nature normative du droit --, elle est en revanche la preuve de l'intérêt persistant du législateur colonial, et de la poursuite au-delà de la Seconde Guerre mondiale des actions en justice intentées pour ces motifs.

   jugesorcier

  

 

Publié dans Sources imprimées

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