10 - A livre ouvert
Construction brique à brique de la bibliographie de recherche. Douce infusion des lectures spécialisées. Lente absorption de la pensée d'autrui... Cette phase est délicieuse au point que l'on s'engage parfois dans une fuite en avant pour la prolonger indéfiniment -- il y a toujours un autre livre, un autre article à découvrir.
La pile de ce qu'il faudra lire au plus vite pour cadrer cette recherche est déjà impressionnante, et je rendrai compte de certaines de ces lectures dans les prochaines semaines. Il y a d'abord des travaux d'anthropologie à assimiler. Un peu de sociologie. De la critique littéraire. Et de l'histoire, bien sûr : sur les thèmes et objets qui retiennent mon attention, sur des thématiques voisines ou des méthodologies comparables, plusieurs travaux historiques balisent déjà cette enquête : études sur les hommes-léopards au Nigeria dans l'entre-deux-guerres, sur la sorcellerie en Afrique subsaharienne, la justice coloniale, les chasseurs de têtes en Asie du sud-est, etc., etc.
Une coïncidence est frappante dans ces premières traversées livresques. Presque toutes les études sur le cannibalisme s'ouvrent sur une citation du célèbre passage de Montaigne intitulé “Des cannibales” (Essais, livre I, chapitre 33). Rien de très étonnant à cela : comme le souligne Laurence Goldman dans Anthropology of Cannibalism, ce texte est considéré comme un locus classicus de la représentation de l’Autre -- et Montaigne comme l'un des précurseurs éclairés du relativisme culturel. Le philosophe de la Renaissance n’a pas choisi son sujet par hasard, mais justement parce qu'il engageait une réflexion sur sa propre culture, et sur l'humain en général. Depuis des siècles, en effet, l'anthropophagie constitue pour l'homme occidental un symbole quintessentiel de l’altérité ou, comme l'écrit Georges Guillet-Escuret dans sa Sociologie comparée du cannibalisme, un antipode culturel.